Secrets de doublage Jean-Cyprien Chenberg, une vie à prêter sa voix
En bref
- Entré dans le monde du doublage en 2017, Jean-Cyprien Chenberg est acteur, doubleur et musicien.
- La Petite Sirène, Cobra Kai, Fortnite… il prête sa voix à des personnages de films, séries, mangas, et même de jeux vidéo.
- Au-delà du doublage, Jean-Cyprien navigue avec aisance entre la scène, le studio et la caméra, porté par une passion pour le jeu sous toutes ses formes.
Trouver sa voix
Acteur, doubleur, violoniste, Jean-Cyprien Chenberg ne manque pas de cordes à son arc. Sur scène, à l’écran ou en studio, il explore toutes les facettes du jeu. Originaire d’Auvergne, il entame d’abord un parcours classique, bac franco-allemand, et hypokhâgne à Clermont-Ferrand, pour se rendre compte que son bonheur se trouve ailleurs : à Paris, dans une école de théâtre. Il intègre alors l’école Perimony et ses trois années qu’il décrit comme "merveilleuses", de quoi lui ouvrir les portes d’un métier exigeant et mouvant. Ses parents le soutiennent sans réserve, tout en l’encourageant à poursuivre des études universitaires : il mène donc de front sa formation théâtrale et une licence d’allemand. Entre les planches, la caméra ou le micro, son cœur balance : « Les trois disciplines me font vibrer à des endroits différents. » Ce qu’il apprécie surtout, c’est l’élan collectif, et ce moment suspendu où le personnage prend vie. Il découvre le monde du doublage en 2017, bien « trop jeune » selon lui. Le voilà débarqué dans un univers codé, où beaucoup se connaissent depuis longtemps. « Je n’étais pas un fils de. Je suis arrivé tout seul, je me sentais comme un bébé », se souvient-il. Il apprend vite, observe beaucoup. Il fallait faire son trou… À force de persévérance, et après un stage au Magasin (école de doublage) avec la Cie Vagabond, il prête sa voix à Bert, l’intello timide de Cobra Kai, série à succès sur Netflix qui raconte la suite de Karaté Kid. Il donne aussi de sa voix au meilleur ami du personnage principal dans le manga Rent-A-Girlfriend : « Une version de moi-même si je n’avais pas évolué », s’amuse-t-il. Mais son plus beau souvenir demeure La Petite Sirène en 2023. Ce dessin animé l’accompagne depuis l’enfance. Il s’y reconnaît, lui qui vit avec un handicap moteur aux jambes. Alors, quand un remake est annoncé, il n’a qu’une idée en tête : en faire partie.
Partir là-bas
Il contacte Claire Guyot, la voix originale d’Ariel, devenue directrice artistique du projet. Il lui écrit, lui parle de son histoire et lui envoie même une photo de lui enfant, déguisé en Ursula. Car c’est en découvrant la voix de la méchante pieuvre, doublée par Micheline Dax, qu’il tombe amoureux du doublage, à l’âge de quatre ans. Claire Guyot est touchée. Il obtient le rôle — un marin — et participe même aux voix additionnelles. « J’étais si heureux que je pouvais pleurer », avoue-t-il. Cette émotion-là, il la retrouve parfois dans d’autres projets, comme dans Two Summers, série chorale belge sur Canal+. Il y double la version jeune d’un personnage principal, dans un récit marqué par un drame familial. Le lien avec l’acteur original est devenu si fort qu’il espère le doubler encore, ailleurs, plus tard. Il y a dans sa manière de parler de ses rôles une sincérité et une forme de tendresse pour les personnages qu’il incarne. En jeu vidéo, l’exercice diffère : pas d’image, juste des ondes sonores. Il prête sa voix à des soldats, des zombies, sans toujours savoir à quel jeu il participe. League of Legends, Fortnite… Parfois, il l’apprend après coup. Le secret reste la règle : pas un mot avant la sortie, rien sur les réseaux. Il plaisante : « On s’attend à voir le FBI débarquer si on dit un mot de trop. » Mais le risque est bien réel : une indiscrétion peut valoir une mise à l’écart. Les studios ne plaisantent pas. Le doublage, dit-il, « c’est parfois plus secret que le tournage d’un film. » Souvent, il ne voit même pas le film en entier. Sauf sur Breathe, un film sorti en 2017 avec Andrew Garfield dans lequel il doublait une scène finale chargée en émotion. Le directeur artistique a insisté pour qu’il voie l’intégralité du film avant. Et « ça change tout. », car si on peut jouer juste sans, avec l’histoire dans son intégralité, c’est encore mieux.
Silence, ça double !
Le métier de doubleur présente son lot d’avantages. L’anonymat, d’abord : dans la rue, personne ne le reconnaît. Il échappe aux regards, aux photos volées, à la pression de la notoriété. Ce n’est pas pour fuir la scène qu’il double — il n’a pas peur des projecteurs. Mais l’intimité du studio offre une autre forme de liberté. Et un certain confort : pas de texte à apprendre par cœur, les répliques défilent sous ses yeux, il n’a qu’à les incarner. Convoqué pour une session, il découvre sur place le rôle à jouer, visionne la scène, capte les émotions — puis se lance. Cela demande de la technique, de la précision et de l'instinct. Il aime aussi le doublage pour ce qu’il dit de la culture française. En France, près de 98 % des œuvres étrangères sont doublées à un moment ou à un autre. C’est même le pays qui double le plus au monde : une véritable exception culturelle ! Mais Jean-Cyprien ne se contente pas du micro. Il joue régulièrement au théâtre, bientôt dans Chez Raymonde, comédie bretonne au théâtre de l’Essaïon. Il participe aux Remarquables, un spectacle de danse contemporaine porté par dix artistes en situation de handicap, chacun explorant l’espace à sa façon. Il tourne pour Groland sur Canal+, joue du violon lors de soirées privées et conçoit actuellement une murder party pour des entreprises, dont il écrit l’histoire et recrutera les comédiens. Multiplier les projets, toujours en lien avec le jeu, est pour lui une évidence. S’il devait formuler un regret, ce serait le manque de temps. Dans le doublage comme ailleurs, il faut aller vite. Trop vite parfois. Pas toujours le temps d’explorer, de proposer, de recommencer. « On fait ce qu’on peut avec les conditions qu’on a. Mais je rêve toujours de pouvoir aller plus loin. » Et il s’en donne les moyens.